ECLAIR foudroie l’éducation prioritaire
par

Avec la réduction drastique du budget de l’EN et la suppression de milliers de postes, d’enseignants, de COP, de vie scolaire, le gouvernement a sorti un nouveau programme de son chapeau, destiné à remplacer dès la rentrée 2011 les établissements d’éducation prioritaires les RAR[1] et les REP[2]. Son nom : ECLAIR (Écoles, Collège et Lycées pour l’Ambition, l’Innovation et la Réussite). Le grand mot ici est l’Innovation, car finis les moyens supplémentaires pour faire fonctionner les établissements « concentrant le plus de difficultés en matière de climat scolaire et de violence »[3]. Il n’y a pas encore eu de rapport d’évaluation public sur les 105 établissements qui l’ont testé cette année, mais déjà, le ministère a prévu d’étendre le projet à 249 établissements dans le secondaire et à 1725 écoles pour la prochaine rentrée, dont certains en Guyane.
Si l’objectif affiché est la réussite des élèves par un renforcement du suivi individuel, les innovations proposées entrent totalement dans le cadre du tout sécuritaire et du démantèlement de l’éducation publique.
De l’éducation prioritaire à l’éducation sécuritaire
Avec ECLAIR les enseignants des collèges sont appelés à innover sur « les progressions pédagogiques, en lien avec le socle commun de connaissances et les référentiels de compétences et de connaissances des diplômes auxquels préparent les lycées professionnels »[3] et à « organiser le temps scolaire en encourageant notamment la pratique régulière d’activités physiques et sportives et d’activités artistiques »[3]. Place au SMIC éducatif, qui rendra difficile l’accès au lycée général.
Pour le suivi des élèves « une attention particulière est apportée aux élèves dont l’attitude ne permet pas le bon déroulement de la scolarité et déroge aux règles de vie de l’établissement » [3]. Mais cela ne se faisait-il pas jusqu’à présent ?
Pour la famille, on met en place « la mallette des parents », qui consiste en des débats-formations qui n’auront comme conséquences, que de culpabiliser un peu plus les parents.
Si on ajoute à cela « un partenariat renforcé avec les correspondants de police ou de gendarmerie » [3], on voit bien se dessiner les idées sous-jacentes au programme ECLAIR : donner une éducation au rabais et tenir les élèves et les parents en respect par la culpabilisation et l’introduction des forces de l’ordre dans les établissements.
Mise au pas des personnels et direction managériale
Sous prétexte que « la réussite de ce projet repose pour l’essentiel sur l’investissement et la stabilité des équipes », le ministère généralise le principe du poste à profil pour les personnels enseignants, d’éducation, administratifs, sociaux et de santé.
Ceux qui n’adhèrent pas au nouveau projet « seront encouragés à rechercher une affectation plus conforme à leurs souhaits »[3]. Et c’est le chef d’établissement qui recrutera ses personnels, qui s’engageront pour cinq ans, par lettre de mission ! Ils seront embauchés à la suite d’un entretien « ayant pour objet de s’assurer de leur volonté de s’investir dans le projet de l’établissement »[3], contractuels et titulaires étant traités au même titre.
Par la suite ce sera le préfet des études, personne aux pouvoirs très larges, tant au niveau pédagogique qu’éducatif, et touchant une prime de 400 à 2400€ par an (au bon vouloir du chef d’établissement), qui contrôlera le niveau d’investissement de chacun. Choisi par le chef d’établissement parmi les professeurs ou les CPE, il est l’ « élément central de la cohérence des pratiques, du respect des règles communes et de l’implication des familles » [3] Bizarrement il n’est jamais plus question de liberté pédagogique dans la circulaire !
Après le bâton il y a la carotte... « les résultats seront pris en compte dans l’évaluation des enseignants et pourront être une élément facilitateur pour obtenir prioritairement un avancement au grand choix ou une nomination aux grades supérieurs »[3]. Autant dire qu’il vaut mieux être copain avec les chefs !
La logique de démantèlement de l’éducation publique
Le principe de l’éducation prioritaire était de « donner plus à ceux qui en ont le plus besoin » (crédits, postes, heures d’enseignements), pour que tous les élèves, quelles que soient leurs origines sociales, aient la même chance de faire partie de la cohorte des 80% d’une classe d’âge au niveau BAC. Quand on entend de « hauts responsables » cités par Le Monde, affirmer à propos des ZEP « ça n’a jamais marché, la preuve : une fois qu’un établissement y est rentré, il n’en sort jamais », on ne peut qu’être révolté. Le classement ZEP n ’a jamais eu vocation à régler tous les problèmes économiques et sociaux qui restent les principaux facteurs d’échec scolaire. Avec ECLAIR et la disparition de la carte scolaire, c’est une école à deux vitesses qui se dessine : une pour les pauvres, auxquels on dispensera un SMIC éducatif interdisant l’accès aux longues études et une pour les moins pauvres. Autant dire que cela laissera la part belle à l’enseignement privé (à 95% confessionnel) qui se prépare à s’attaquer à ce grand marché de l’école. Pour ce qui est de la condition des personnels, il y a tout à craindre qu’elle se généralisera très rapidement à tous les établissements, car elle s’inscrit tout à fait dans la politique actuelle de réduire le nombre de titulaires de la fonction publique à une portion congrue.
Une proposition de loi a même été déposée par les amis de Sarkozy, visant à réserver le statut de la fonction publique aux agents exerçant une fonction régalienne (défense, diplomatie, sécurité, justice, banque centrale) [4]
[1] réseau ambition réussite
[2] réseau éducation prioritaire
[3] circulaire n°2010-096 du 7 juillet 2010
[4] proposition de loi, émanant de Jean-François MANCEL député UMP de l’Oise.
ECLAIR dans le 1er degré
Nous n’avons que peu d’informations depuis que Jean-Michel Blanquer, notre ancien recteur et maintenant directeur général de l’enseignement scolaire, a annoncé qu’« à la rentrée, nous entrerons dans la deuxième phase du système "Clair", qui va s’appeler "Eclair" ».
Pour l’instant nous ne pouvons nous en tenir qu’à ce que nous découvrons dans la presse : le 13 janvier, M. Blanquer a affirmé à l’AFP que « les écoles « Eclair » ne seront pas concernées par la possibilité de recruter directement leurs enseignants, ni par la mise en place d’un « préfet des études ». Elles bénéficieront plutôt d’efforts en termes pédagogiques (taux d’encadrement, aide personnalisée). » Mais avec quels moyens ?
A SUD Éducation nous sommes convaincus que le dispositif ECLAIR est une première étape avant la création du statut de « Maître directeur » qui fera du directeur non plus un collègue mais un supérieur hiérarchique. Les propos qui ont été tenus lors de la convention sur l’éducation de l’UMP en novembre dernier ne laissent aucun doute là-dessus. Gérard Longuet y a notamment déclaré : « Il faut un patron qui puisse entrer dans les classes et exfiltrer les enseignants qui sont en rupture avec le projet d’établissement ».
Le dispositif ECLAIR est une menace qui ne concerne pas uniquement les collègues du 2nd degré. C’est tous ensemble, de la maternelle à l’université que nous devons combattre cette vision de l’éducation. Ne laissons pas « le management par la peur » entrer dans l’Éducation Nationale.
Commentaires