LETTRE OUVERTE à MONSIEUR LE RECTEUR DE L’ACADÉMIE DE GUYANE

mercredi 8 avril 2020
par  Sud Éducation Guyane

Monsieur le Recteur,

Nous entamons la 4ème semaine de confinement… Tout est allé très vite, trop vite. Dès le 16 mars, dans un contexte inédit et anxiogène de pandémie, les personnels de l’éducation nationale ont dû faire face à des informations gouvernementales contradictoires et des injonctions ministérielles paradoxales sur fond d’urgence sanitaire et de « déclaration de guerre » présidentielle. La Guyane n’a pas été épargnée.

Le ministre, que vous représentez ici et dont vous vous faites le relais, affirme dans les médias que tout est prêt, sous contrôle et organisé.

En Guyane, quelles réalités se cachent derrière ces déclarations et injonctions ?

DES INJONCTIONS CONTRADICTOIRES

Dans certaines écoles, depuis plusieurs jours, les enseignant-e-s reçoivent les messages d’Inspectrices et Inspecteurs de l’Éducation Nationale qui demandent aux professeur-e-s des écoles de se rendre régulièrement dans des établissements afin d’assurer des permanences et de rencontrer les parents d’élèves éloigné-e-s de l’école et du numérique (ou non) pour leur fournir des documents papiers, voire même, semble-t-il, du matériel pédagogique plastifié dans certaines écoles. Nous avons même des témoignages de rencontres entre enseignant-e-s et parents ; ces derniers ramènent des documents remplis par les élèves afin que les enseignant-e-s les corrigent lors d’entretiens réguliers. Ces injonctions non-réglementaires mettent en danger les enseignant-e-s tout comme les familles de nos élèves.

Nous rappelons que des études montrent que ce virus pourrait rester actif de quelques heures à quelques jours sur les objets, selon le matériau. Nous ne pouvons avoir aucune certitude sur la contamination des documents rendus par les élèves ni qu’ils et elles ont bien respecté les gestes barrières. Et de même, nous ne pouvons avoir aucune certitude sur le fait que les documents donnés aux élèves ne soient pas contaminés. Les consignes du gouvernement ont pourtant été claires : les personnels qui peuvent télé-travailler n’ont pas à se déplacer dans le cadre professionnel, la population doit éviter le plus possible les déplacements. Les parents enfreignent d’ailleurs la réglementation car il n’y a pas de cas dérogatoire pour se rendre dans les écoles.

En ce qui concerne les professeur-e-s, le vademecum continuité pédagogique, envoyé à tous les personnels de l’éducation nationale est très explicite à ce sujet : « Les professeurs de mon école doivent-ils rester chez eux ? Seuls doivent être présents les personnels dont la présence est strictement et absolument nécessaire. »

Dans certains collèges, des pratiques similaires nous sont rapportées sur l’île de Cayenne avec des remises de documents aux familles. A Papaïchton, Camopi et Maripasoula, il a même été proposé de recevoir des élèves pour qu’ils puissent se connecter à Parcoursup ! Les consignes de limitation des déplacements du gouvernement sont ainsi totalement niées. Il est irresponsable de continuer à cautionner cet assouplissement des règles de confinement alors que la loi organique sur l’état d’urgence sanitaire a été votée depuis le 23 mars 2020.

De la même façon, les conseils de classe sont maintenus dans quasiment tous les établissements. Mais à quel prix ? Les conseils ont lieu en totale improvisation, sans représentant-e-s élèves ou parents. Il est demandé aux parents, parfois, de valider des avis provisoires d’orientation sans concertation et sans information aux familles et aux élèves sur lesdites orientations.

Les demandes sont tellement ubuesques que certains établissements formulent déjà des demandes relatives à la préparation de la rentrée prochaine. Comment peut-on la préparer, alors que la question des examens vient tout juste d’être tranchée, que la sortie du confinement baigne dans un flou absolu et que les moyens attribués pour la rentrée de septembre n’ont pas été communiqués par les chef-fe-s d’établissement aux équipes, ni aux instances ?

UNE HIÉRARCHIE DE LA DÉFIANCE ET DE LA MÉFIANCE :
Bienvenue dans « l’école de la confiance » !

Nous constatons une surveillance suspicieuse et des injonctions insupportables de certains représentant.es de la hiérarchie (IPR, IEN, chef-fe-s d’établissement) qui n’hésitent pas à harceler des collègues, par mail ou téléphone, pour leur demander de rendre des comptes sur le travail fait ou prétendument non fait. Nous pensons au contraire que les supérieur-e-s hiérarchiques pourraient davantage nous accorder leur confiance. Pour l’heure, nous rappelons que le télétravail est encadré dans la Fonction Publique (Décret 2016-151).

Les personnels ne peuvent pas être tenus à une « obligation de résultat » face aux difficultés techniques, aux conditions de vie des élèves et aux risques sanitaires auxquels nous faisons face actuellement. Il serait bienvenu que vous le rappeliez aux IPR, IEN et chef-fe-s d’établissement qui n’hésitent pas à harceler certain-e-s collègues. La maltraitance institutionnelle n’est pas acceptable.

Dans le premier degré en particulier, depuis le début du confinement, les enseignant-e-s se démènent pour assurer la prétendue « continuité pédagogique » et ils vivent très mal la pression quotidienne exercée sur eux/elles. Nous avons plusieurs exemples de consignes aberrantes et irréalisables envoyées aux enseignant-e-s par l’institution. Cela doit cesser.

Dernièrement, dans toute l’académie, nous avons reçu des questionnaires ou tableaux à compléter pour faire remonter les chiffres de la prétendue continuité pédagogique. Les résultats et conclusions de ces enquêtes, questionnaires et tableaux sont par avance contestables, tant au niveau de la démarche que de la méthodologie.

UNE CONTINUITÉ PÉDAGOGIQUE IMPOSSIBLE et UNE ÉCOLE DU TRI SOCIAL

Le 13 mars, nous avons été sommé-e-s d’assurer la continuité pédagogique voulue par le Ministre depuis son cabinet. Or, sur le terrain, elle est impossible à mettre en œuvre : que ce soit dans l’Ouest, l’Est, sur le Fleuve et sur le Littoral. Les inégalités sociales sont le principal obstacle : mal logement, difficultés économiques croissantes du fait de la crise, fracture numérique, parents isolés, réquisitionnés, parfois malades, barrière de la langue pour les échanges par mails ou téléphone avec les familles, fin de l’accompagnement pour les enfants en situation de handicap… Voilà un aperçu du quotidien de beaucoup d’élèves en Guyane depuis plusieurs semaines.

Certain-e-s collègues, encouragés par leur hiérarchie, ont choisi de garder un lien « pédagogique » avec certaines familles ou élèves en dépit des règles élémentaires du Réglement Général sur la Protection des Données ; la plupart des communications se font hors cadre institutionnel (Pronote, messagerie professionnelle, plateforme du CNED…) et passent par WhatsApp et les téléphones personnels, entre autres, car nous ne voulons pas laisser d’élèves sur le bord du chemin ; mais cela met en exergue la difficulté de cette mise en place totalement improvisée et non maîtrisée de la prétendue continuité pédagogique.

En ce qui concerne Parcoursup, pourquoi s’acharner à tenir à tout prix le calendrier de la plateforme ? Voulons-nous sacrifier certains de nos élèves à l’autel du tri social et donner une autre signification à la petite phrase scandée par le Président de la République lors de son intervention du 12 mars : « quoi qu’il en coûte » ? En Guyane, plus qu’ailleurs, nous savions déjà à quel point il était difficile de respecter les exigences de Parcoursup et à quel point ce système était néfaste pour nos élèves ; mais, dernièrement, nous avons pu constater que notre ministère ne voulait pas stopper la machine infernale. Pourtant, à un autre niveau, le calendrier des vœux pour les mutations a été adapté !

Au sujet des examens, le ministre a annoncé en urgence des nouvelles modalités en contrôle continu, sans concertation avec le personnel enseignant et sans mesurer les conséquences de telles annonces. Comment motiver les élèves jusqu’au 4 juillet ? Où était l’urgence de statuer sur les épreuves de 1ère et de 3ème ? Pour le lycée professionnel, les mesures annoncées ne prennent pas en considération les spécificités de la voie professionnelle. De plus, Monsieur Blanquer ne cesse de parler d’équité entre les élèves, mais faire passer la totalité des examens en contrôle continu (projet cher à notre ministre) va créer une inégalité encore plus forte entre les élèves en fonction notamment de l’académie et de l’établissement dans lequel ils ou elles sont inscrites. Les Épreuves Communes de Contrôle Continu (E3C) n’ont pas pu avoir lieu partout, ni dans de bonnes conditions, accentuant encore les inégalités entre candidat-e-s. Une annulation de ces épreuves aurait été plus juste. Au vu de ces nombreux dysfonctionnements, SUD EDUCATION appelle à délivrer exceptionnellement le Diplôme National du Brevet et le baccalauréat à tou-te-s les candidat-e-s.

Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus et bien d’autres, la période de confinement ne peut pas être sérieusement considérée comme ayant permis une « continuité pédagogique », l’école s’est arrêtée le 13 mars 2020 et nous la reprendrons là où nous l’avons laissée. Les carences et les inégalités sociales que nous dénonçons depuis trop longtemps laisseront bien des enfants et des jeunes « sur le bord du chemin » si vous persistez à utiliser la fameuse « continuité pédagogique ». Pour SUD ÉDUCATION, l’urgence est surtout sanitaire et en Guyane cette phrase prend malheureusement toute sa signification.

UNE CRISE ACTUELLE et UNE CRISE À VENIR

Une immense incertitude pèse sur la date, les conditions et les modalités de sortie de confinement et sur les conséquences de cette crise sanitaire, sociale et économique. Crise face à laquelle ce gouvernement, et ceux qui l’ont précédé, portent une lourde responsabilité. Le désastre actuel révèle avec acuité les conséquences de la casse des services publics (santé, éducation, poste, protection sociale, chômage, retraites..) que les politiques libérales ont savamment orchestrées depuis des décennies.

La Guyane est en souffrance. Les autorités ont le devoir de réagir. Le Préfet et le Président de la CTG doivent prendre leurs responsabilités. Notre union syndicale interprofessionnelle les a prises puisque Solidaires Guyane a décidé de soutenir le référé déposé par l’UTG et d’intégrer l’initiative inter-organisationnelle UTG - MDES - Trop Violans - Komité Drapo. Les enseignants qui accueillent actuellement les enfants de soignant-e-s font partie des personnels exposés et doivent avoir les protections nécessaires dans ce contexte pandémique.

Dans ce contexte,
SUD ÉDUCATION GUYANE EXIGE et REVENDIQUE :

- que soit mise en place une réelle continuité sanitaire, sociale et psychologique pour nos élèves et leurs familles en lieu et place d’une prétendue continuité pédagogique impossible à appliquer en Guyane : numéros spécifiques à appeler et personnes ressources à contacter en cas de difficulté ou de violences, aide alimentaire pour les plus démuni-e-s (les fonds sociaux spécifiques à la restauration scolaire).

- que la mise en place de l’enseignement à distance se fasse dans le respect de la liberté pédagogique car nous dénonçons les pressions voire le harcèlement exercés sur les personnels, mais aussi sur les familles, dans le cadre de l’enseignement à distance.

- que l’employeur garantisse les conditions de sécurité sanitaire à l’accueil des enfants de soignants et des autres professions concernées aussi bien pour les personnels que pour les élèves et leurs parents qui ne doivent pas être exposé-e-s à des risques supplémentaires.

- que cessent les injonctions aux déplacements non-essentiels : notamment ceux de certain-e-s IEN et IPR ou chef-fe-s d’établissements à déposer et récupérer du matériel pédagogique.

- que cessent les enquêtes sous quelques formes qu’elles soient, laissons les enseignant-e-s faire leur travail.

- que la machine Parcoursup s’arrête au niveau national. En Guyane, nos élèves n’ont pas pu valider leurs vœux dans des conditions équitables et convenables.

- le droit aux vacances scolaires pour toutes et tous.

- dans l’éventualité d’une reprise : que l’école reprenne là où elle s’était arrêtée le vendredi 13 mars, : aucune nouvelle notion et aucune pression de progression.

NI OUBLI NI PARDON...

Nous affirmons que, bien que confiné-e-s, nous ne sommes ni résigné-e-s ni bâillonné-e-s. Nous sommes prêt-e-s à prendre toutes les initiatives pour rendre visible et audible notre colère. Nous n’oublierons rien de tout ça à l’heure du bilan. Nous ne pardonnerons rien lorsque les responsables devront rendre des comptes.

Nous savons que vous avez le devoir d’être la voix du ministre en Guyane, mais nous aimerions comprendre à quel moment vous respectez votre devoir moral et professionnel qui est d’être la voix de la Guyane auprès du ministre ? Monsieur Blanquer n’a certainement pas oublié ce territoire dont il fut le Recteur, il n’y a pas si longtemps que ça.

Veuillez croire, Monsieur le Recteur, à notre attachement au service public d’éducation, à un enseignement démocratique, égalitaire, émancipateur dans une école gratuite et ouverte à toutes et tous, et aux droits des personnels, notamment les précaires, qui assurent au quotidien et sur le terrain les missions qui sont les leurs. Ils tiennent les murs que d’autres s’acharnent à détruire…

SUD Éducation Guyane,
le 8 avril 2020


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